Aller au contenu

Pourquoi il n’y a pas plus de gâteau au chocolat ?

J’ai reçu pas mal de messages me posant cette question : « Pourquoi tu ne fais pas plus souvent des gâteaux au chocolat ? Tu en vendrais plus et puis c’est super bon ». Je suis tout à fait d’accord sur les deux points, c’est super bon et quasi tout le monde en veut, voire en veut encore plus. Le chocolat c’est addictif et en plus c’est juste génial à travailler tellement les possibilités sont grandes. Bon, en vrai c’est une galère mais une galère géniale.

pourquoi je ne fais pas plus de gâteau au chocolat ?

La réponse principale est un peu brutale : LE PRIX ! Le cacao c’est addictif, et la spéculation aussi semble-t-il. Des braves gens qui ne font de tort à personne et qui ont juste envie de mettre du beurre dans leurs épinards ont très bien compris l’importance psycho-émotionnelle de cette matière première dans nos vies. Du coup ils ont un peu joué les spéculateurs et ont beaucoup gagné.

Pour vous donner une idée de la flambée des cours du cacao, on est passé d’une tonne de cacao à environ 2500$ fin 2022, à quasiment 9000$ la tonne de cacao fin novembre 2024, avec une pointe à 12400$ la tonne en avril 2024 ! Quasiment 500% d’augmentation en deux ans sur un pic et 360% d’augmentation en prix lissé. Ouais, ils ont un peu déconné sur la quantité de beurre dans leurs épinards.

Cette augmentation n’est pas due à la flambée des cours pétroliers, ou à la guerre en Ukraine, oui le cacaoyer pousse moyen bien du côté d’Odessa, mais simplement à une mauvaise récolte 2023 et 2024 au Ghana et en Côte d’Ivoire, due à des événements climatiques extrêmes sur des plantations majoritairement en monoculture et mal entretenues. Qui dit plantations vieillissantes dit arbres fragiles, ils n’ont donc pas résisté aux 2 années de fortes pluies suivies de périodes de sécheresse importante. Comme le Ghana et la Côte d’Ivoire représentent 60% de la production mondiale, il y a eu pénurie.

Mais voilà, cette pénurie n’aurait jamais pu engendrer une telle hausse si les hedge funds (BlackRock par exemple) et d’autres investisseurs (comme ceux qui vous permettent d’avoir une assurance vie) n’étaient pas rentrés dans la boucle pour avoir leur fameuse grosse motte de beurre dans leurs épinards. En spéculant sur la réalité physique du marché, une relative pénurie, ils ont stocké et créé une réelle pénurie, faisant encore plus monter les cours du cacao.

Je ne vais pas rentrer dans les détails mais pour faire simple, s’il y a pénurie, ils aggravent la pénurie pour rendre la marchandise encore plus rare et faire monter sa valeur, et grossir leur motte de beurre. S’il y a surproduction, ils vendent leur stock en masse, créant un afflux et faisant encore plus chuter le cours. En somme, ils sont des facteurs aggravants d’une tendance naturelle. Pensez-y quand vous placerez votre argent pour une assurance vie ou une caisse de retraite par répartition.

Un prix juste pour le producteur, c’est normal

Il faut savoir que lorsqu’en 2017 nous nous frottions les mains et faisions des crises de foie avec une tonne de cacao à 1900$ la tonne, les producteurs, eux, crevaient littéralement la dalle. Le site ETHIQUABLE (lien en dessous) estime qu’un juste cours pour rémunérer correctement les planteurs serait d’environ 3500$ la tonne en prix bord (prix versé par le négociant au producteur). On en était très loin depuis 25 ans et aujourd’hui le prix à l’export est très au dessus..

On pourrait se dire que cette flambée des cours du cacao a donc profité aux planteurs et aux producteurs, et c’est en partie le cas. Comme quoi, le malheur des uns, le consommateur occidental, fait le bonheur des autres, le hedge funds et le paysan, pour une fois. Après il faut avoir conscience des disparités selon les pays producteurs.

Le producteur de Côte d’Ivoire ne voit pas vraiment une grosse différence alors que celui de Madagascar, du Nicaragua ou de la république Dominicaine, lui, commence à sortir un peu la tête du trou. Rassurez-vous, ils en sont pas encore à rouler en 4×4 avec la clim et la sorbetière à mojito dans le coffre. Tout dépend des institutions des pays producteurs et bien évidemment de la qualité du cacao produit. Le Pérou, l’Equateur et la rep. Dominicaine ont donc eu une très bonne idée d’opter pour du cacao biologique, vu que le cours du bord est aux alentours de 5000$ la tonne (prix versé au producteur).

Il est intéressant de noter que grâce à ces deux années de sous production et à la spéculation des hedge funds, on paye aujourd’hui le cacao à un prix décent pour le producteur alors que depuis 25 ans les grands groupes avaient décrété que ce n’était même pas envisageable et qu’aucun consommateur n’accepterait de payer ce prix. 25 ans plus tard, on le paye et il n’y a toujours pas de révolution.

Et si vous voulez savoir, le prix du cacao n’est pas prévu à la baisse : la Côte d’Ivoire vient d’annoncer que la production 2024 est inférieure de 30 à 40% par rapport à ce qui était attendu à cause « d’aléas climatiques ». Si on rajoute à cette relative pénurie la spéculation qui, elle, ne diminue pas, les experts estiment que sur une tablette de chocolat, il va y avoir environ 0.50 ctm d’euro d’augmentation pour le consommateur lambda … et sur le petit artisan qui n’a pas accès à des plantations en direct, c’est, qui aurait pu prévoir, exactement la même chose.

Retrouver et apprendre d’autres saveurs

Bon ben alors je devrais être contente si le paysan reçoit enfin l’argent qu’il mérite. Et bien je suis ravie ! Par contre si je vous fais payer une religieuse au chocolat biologique et/ou équitable à 7 ou 8€ pour pouvoir faire un petit bénéfice, je suis pas sûre que vous appréciiez. Rassurez-vous, ma motte de beurre est bien moins grosse que celle de certains, et puis les épinards avec des croûtons, de l’ail et de l’huile d’olive c’est très bon aussi.

Après je pourrais faire comme beaucoup de pâtisseries, descendre en gamme, du chocolat moins bon c’est du chocolat moins cher. Alors oui mais c’est pas vraiment le genre de la maison. Idem, la solution de beaucoup de pâtisseries c’est d’en mettre moins, ça marche, la preuve la semaine dernière j’ai mangé un feuilleté qui devait être à la crème praliné mais je cherche encore le goût des noisettes dans son praliné (6€10 le kilo au MIN d’Avignon le 14.11.24). Bon je rigole, même si c’est pas drôle, mais vous l’avez compris, c’est pas non plus le genre de la maison.

Du coup, vu la flambée des prix du cacao et sachant que ce prix qui nous semble pharaonique permet de nourrir les paysans locaux (et de grossir la motte de beurre des hedge funds), j’ai plutôt décidé l’inverse, à savoir vous faire moins de gâteau au chocolat mais avec des chocolats de qualité voire d’exception.

eric-boschman-50-nuances-de-gras

50 Nuances de Gras, de Eric Boschman. Beau, bon et simple

Quoi de mieux que de commencer une rubrique qui s’appelle 50 nuances de gras sur les livres de cuisine par celui d’Eric Boschman, Cinquante Nuances de Gras justement ! En plus d’être beau, ce livre transmet avant tout l’essence de la cuisine : du convivial, du sensuel et du sentiment. Et son auteur, Eric Boschman,… Lire la suite »50 Nuances de Gras, de Eric Boschman. Beau, bon et simple

C’est en suivant cette réflexion que j’ai découvert l’existence autour de chez nous de petits chocolatiers passionnés qui sont propriétaires de plantations ou qui achètent directement les cosses de cacao sur place et torréfient eux-mêmes pour obtenir des chocolats …. mamamia ! Je ne vais pas tous les citer mais vous avez LA BARRE CLANDESTINE (Gard), AUGUSTE COMTE (Gard), GILLES DABZOL (Marseille) et bien d’autres. Je suis en plein travail de recherche et je découvre des perles au niveau goût et qualité des produits.

Et puis ne râlons pas trop. Apprenons à faire « contre mauvaise fortune bon coeur » ou bon imaginaire. Cette réalité économique, qui ne va pas aller en s’arrangeant, nous donne l’occasion de changer et de trouver, pour nous les artisans, d’autres filiales, d’autres produits, et d’explorer ou de retrouver d’autres goûts. Dans la même logique, je ne vous proposerais jamais de pâtisserie aux fruits de la passion, à l’ananas ou à la banane, du moins tant qu’il n’y aura pas une production d’ananas suffisante pour être abordable dans le sud de la France.

C’est cette logique qui me pousse à vous proposer des desserts aux pommes, aux poires, ou avec des abricots, des fraises, des citrons, des mirabelles de saison ou des fruits exotiques cultivables en Provence comme la feijoa, le kaki lotus, le kiwanos et même de la fève de tonka plutôt que de la vanille, sauf quand on m’en ramène directement.

Dans la cuisine comme dans la vie, la contrainte peut être une chance si elle n’est pas trop écrasante et surtout si on accepte de s’adapter mais d’ailleurs, avons-nous vraiment le choix ? Sans vouloir plomber l’ambiance ou sortir de mon cadre de cuisinière, il n’y a pas grand chose pour indiquer un retour à « comme c’était avant ». Donc à nous, les artisans, et à vous, les clients, de prendre les devants pour être heureux dans le monde qui se construit plutôt que malheureux en pensant à hier.

Quelques liens pour vérifier et aller plus loin

Puisqu’on vient de parler d’économie, je vous laisse regarder sur le lien TRADING ECONOMICS en dessous le cours sur une année du blé, de l’avoine, du sucre et du riz. C’est étonnant de voir comment le prix du marché, qui baisse depuis un an, n’est absolument pas corrélé au prix d’achat du particulier qui, lui, augmente… Un jour on parlera des centrales d’achat et de quelles solutions existent pour le citoyen lambda comme vous et moi.

  • Suivre le cours des matières premières (ici le cacao) sur TRADING ECONOMICS
  • Comprendre la crise du cacao via le blog ETHIQUABLE
  • Rions un peu : les prix au kilo grossiste au MIN d’Avignon

votre avis et commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.